Partager la publication "Le codéveloppement professionnel : outil d’intelligence collective au service du personnel soignant"
Ce billet est écrit dans le cadre de ma contribution au comité de rédaction du site infirmiers.com.
Commençons ce billet par une métaphore; Si j’ai une pomme, que vous avez une pomme et que nous échangeons nos pommes, alors nous repartirons chacun avec une seule pomme. Si maintenant, j’ai une idée, que vous avez une idée et que nous échangeons nos idées, alors nous repartirons chacun avec… deux idées.Voilà en substance l’esprit du codéveloppement. Cette semaine je vous présente cette approche, se situant à la croisée des chemins de plusieurs autres méthodes et courants (en partant des groupes Balint jusqu’à l’apprentissage en double boucle de Chris Argyris en passant par les très connus groupes d’analyse de pratiques) et qui nous vient droit de chez nos cousins québécois.
La genèse du codéveloppement
Leurs concepteurs, dont les noms évocateurs me font penser qu’ils se sont bien trouvés (Claude Champagne et Adrien Payette), ont élaboré cette approche dans les années 80 et l’ont plus largement diffusée à la fin des années 90, notamment dans le secteur de la santé (il n’y a pas de hasard 😉 ). En France, elle apparait il n’y a même pas dix ans, essentiellement dans le monde de l’entreprise auprès des managers, cadres opérationnels, DRH, dirigeants, chefs de projets, etc.
Comme dans tout bon concept, une définition est essentielle pour savoir de quoi il s’agit. En voici une :
« Un groupe de codéveloppement est un groupe de personnes qui veulent améliorer leur pratique professionnelle, quelle qu’elle soit, et qui s’entraident dans ce sens, car elles croient pouvoir apprendre les unes des autres. La réflexion effectuée, individuellement et en groupe, est favorisée par un exercice structuré de consultation qui porte sur des situations vécues actuellement par les participants ».
Nous voyons en filigrane dans cette définition, l’une des pierres angulaires de cette méthode, à savoir la poursuite du double objectif d‘apprendre et … d’apprendre à apprendre. En effet ici, l’intelligence collective est mobilisée au profit de chacun et, dans le même temps, chacun contribue à alimenter cette intelligence collective. Je donne et je reçois dans le même temps.
Bon, après ces quelques pirouettes de langages, passons à du concret, du solide, du pragmatique (nous aimons bien cela les IDE, le concret 🙂 ) .
Comment ça marche le codéveloppement ?
En pratique, les groupes de codéveloppement sont constitués de cinq à huit participants qui se réunissent pendant deux à trois heures, parfois jusqu’à une demi-journée, suivant un rythme de séances allant de quinze jours à un mois, sur une période pouvant s’étaler sur quelques mois et en fonction des besoins des participants (certains groupes se réunissent ainsi sur plusieurs années).
A chaque séance, plusieurs rôles sont choisis parmi les participants. L’un d’entre eux prend le rôle du « client » et les autres prennent celui de « consultants« . Le rôle de l’animateur, quant à lui, est généralement tenu par un professionnel averti, extérieur au groupe. Cette position lui permet de conserver un regard neutre vis à vis du système que forme le groupe et piloter le processus en toute sérénité.
La particularité des groupes de codéveloppement se situe dans la structure même de la séance que je vais vous décrire plus bas; mais la richesse, elle, se situe dans toutes les interactions, réflexions, pensées, apports, suggestions, émotions, ressentis, actions (et j’en oublie) que les membres du groupe partagent tout au long de la (et des) séance(s).
Le cœur du système
Comme je le disais plus haut, la particularité d’une séance de codéveloppement professionnel est qu’elle est structurée de façon séquentielle. En effet, une séance est constituée de six étapes récurrentes. Elle débute après un retour d’expérience de la séance précédente et se décompose ensuite comme suit:
- Étape 0 : Préparation. Les participants préparent un sujet qui relève soit d’un projet, soit d’une préoccupation, soit d’une problématique. L’idée est d’arriver en séance avec une situation vécue, à exposer à ses pairs.
- Étape 1 : Présentation. Après avoir déterminé qui souhaite prendre le rôle du client, ce dernier expose son sujet à ses pairs, qui deviennent ainsi des consultants. Ces derniers l’écoutent.
- Étape 2 : Clarification : A la fin de l’exposé du sujet du client, les consultants, posent des questions factuelles afin de clarifier d’éventuelles incompréhensions et obtenir des informations complémentaires. Le client répond et précise.
- Étape 3 : Contrat. Le client définit le contrat de consultation. C’est ce qu’il veut obtenir à l’issue de cette séance, ce avec quoi il veut repartir en terme de solutions. Cette étape est importante car tous les participants (client + consultants) se doivent d’être OK sur ce contrat. L’engagement des uns et des autres en dépend.
- Étape 4 : Consultation tous azimuts. A ce stade, les consultants formulent leurs impressions, commentaires, témoignages, interprétations, suggestions, hypothèses, etc. en respectant l’un des piliers relationnels du codéveloppement : la bienveillance. Ils aident le client à réfléchir sur son sujet. Le client, quant à lui, écoute, note, fait des liens, demande des précisions.
- Étape 5 : Synthèse et plan d’action : Le client assimile l’information, indique ce qu’il retient, conçoit un plan d’action à mettre en oeuvre jusqu’à la prochaine séance.
- Étape 6 : Apprentissage, régulation, évaluation. Cette dernière étape, loin d’être futile, invite le client et les consultants à décrire leurs apprentissages, partager leur évaluation de la séance, échanger des feed-backs et décrire leur expérience de séance.
Il est à noter à ce stade du billet que, sous l’apparente simplicité du processus, existe une véritable dynamique de groupe qu’il est nécessaire de savoir réguler et à fortiori recadrer. En outre, pour que le travail en groupe de codéveloppement soit le plus fructueux possible, certaines conditions doivent être réunies. Un peu comme les ingrédients d’une bonne mayonnaise.
Quand la mayonnaise prend
La principale condition du succès d’un groupe de codéveloppement vient de la motivation des participants à améliorer leur pratique en en travaillant des aspects avec des collègues. La qualité de cette motivation entraînera la qualité des autres conditions : engagement, ouverture, confidentialité, attitude d’aide, confiance, organisation (assiduité, ponctualité, lieu de rencontres, …)
Pour conclure
Il y aurait énormément à dire sur cette approche qui se veut résolument tournée vers l’humain au sein de son environnement professionnel. Les valeurs qu’elle véhicule finissent par faire tâche d’huile et, telle une goutte tombant à la surface d’une étendue d’eau paisible, le codéveloppement peut se révéler être une onde se propageant à l’infini vers de subtils mais profonds changements. Ah ! Mon côté poète refait surface :-).
source: Le codéveloppement professionnel et managérial. Anne Hoffner-Lesure et Dominique Delaunay. Ed ems management & société.
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Salut Christophe,
je plussoie à 200% sur l’impact de cette pratique.
J’avais d’ailleurs commis un article sur le sujet il y a quelques temps :
http://www.osez-oser.com/article-quand-la-formation-ne-suffit-plus-pensez-co-developpement-107637123.html
J’encourage tout le monde à tester
Salut Christophe,
je plussoie à 200% sur l’impact de cette pratique.
J’avais d’ailleurs commis un article sur le sujet il y a quelques temps :
http://www.osez-oser.com/article-quand-la-formation-ne-suffit-plus-pensez-co-developpement-107637123.html
J’encourage tout le monde à tester
Bonjour,
OUi methode interessante, etant cadre de santé, je crois au management participatif et regulièrement je reuni mes equipes pour que nous reflechissions ensemble à des solutions efficaces. C’est assez proche du co developpement mais que faire lorsque la hierarchie me demande de cesser ce type de pratique et que faire lordsque l’on me rappelle que le seul llien que je doive entretenir avec mes equipes est le lien de subordination??
Azie
Bonjour Azie,
Merci d’apporter votre témoignage.
Je n’ai bien sûr pas de réponse toute faite à votre question. Il me semble en effet nécessaire que la méthode soit validée par l’ensemble des acteurs de la structure, pour que les effets soient vertueux.
Ce type de réaction peut être légitime lorsque la hiérarchie éprouve de la peur ou à minima de la crainte sur les effets que l’intelligence collective pourrait avoir dans un contexte tendu comme l’est actuellement le milieu hospitalier.
Et que faire quand quelqu’un a peur si ce n’est d’essayer de le rassurer ?
Plus facile à écrire qu’à faire… j’en conviens.
Bel article Christophe. Quel Hôpital , aujourd’hui utilise ces modèles?
Quelles sont les directions qui adhèrent à ces projets?
Merci Conchi,
Je ne sais pas si cet hôpital pratique le codéveloppement, mais les RH semblent suffisamment tournées vers la prise en compte de la QVT pour être potentiellement intéressées : http://business.lesechos.fr/directions-ressources-humaines/bien-etre-au-travail/qualite-de-vie-au-travail-les-bonnes-pratiques-de-l-hopital-de-fourviere-9105.php