Partager la publication "Intolérance à la frustration. Mère de tous les maux ? (Partie 2/2)"
Nous voici de retour au pays de la frustration où il n’y fait pas forcément bon vivre. La dernière fois, nous avions vu de quoi était faite la frustration, comment elle pouvait se manifester et qu’est-ce qui pouvait la provoquer. Aujourd’hui, je vous propose de remonter à l’origine de nos vies et voir comment cette émotion a grandi en même temps que nous. De fait, vous verrez que suivant l’apprentissage que nous en avons fait, nous ne sommes pas tous égaux aujourd’hui pour la tolérer. Je vous parlerai aussi d’intolérance à la frustration pathologique et pour finir quelques pistes de travail pour apprendre à mieux tolérer la frustration. Ambiteux programme.
Frustration – Le retour aux sources
A l’origine, nous avons tous connu l’intolérance à la frustration. Nourrissons, quand nos besoins de bases n’étaient pas satisfaits (boire, manger, dormir, avoir le cul propre) la frustration éprouvée nous faisaient pleurer; et en général, ça fonctionnait car Maman ou Papa venaient combler nos besoins.
En grandissant, ça se complique un peu. L’enfant que nous étions commençait à confondre besoin, désir et plaisir. D’ailleurs, cette confusion persiste encore pour un bon nombre d’adultes, tout âge confondu.
A noter qu’un paramètre supplémentaire entre en scène durant cette période d’enfance; l’immédiateté.
Une expérience passionnante de psychologie sociale a été menée en 1972 par un psychologue américain, Walter Mischel, pour étudier le phénomène inverse de l’immédiateté : le principe de gratification différée.
Les modalités de cette expérience sont les suivantes :
Des enfants de maternelle sont assis devant une assiette avec un Marshmallow. L’expérimentateur lui annonce qu’il va sortir de la pièce et revenir un peu plus tard. Si l’enfant a résisté à la tentation de manger la friandise (donc aura toléré sa frustration), il pourra en recevoir un deuxième. Sinon, il ne recevra rien.
Voici une vidéo reprenant les modalités de l’expérience initiale :
Il était convenu à l’origine que cette expérience démontrait que les enfants le plus résistants étaient ceux qui réussissaient le mieux dans la vie. Conclusion remise en question ces dernières années.
Mais là n’est pas le sujet.
En grandissant, et en fonction de notre apprentissage à tolérer la frustration, nous devenons des adultes plus ou moins aptes à accepter que les choses que nous avions prévues ne se passent pas toujours… comme prévu.
L’apprentissage de la frustration
Car oui, il s’agit d’un apprentissage. Comme je vous le disais juste au dessus, l’enfant qui confond besoin, désir et plaisir (immédiat) continuera dans cette confusion tant qu’il obtiendra immédiatement l’objet de son plaisir ou de son désir. Du coup, il finira par confondre « satisfaction du désir et du plaisir » avec « satisfaction des besoins. » C’est là que commence l’intolérance à la frustration.
Apprendre à son enfant à tolérer la frustration consiste, non pas à le frustrer pour le frustrer, mais à l’accompagner dans ce qu’il vit émotionnellement dans ce genre de situation. L’idée serait de lui expliquer que c’est normal de ressentir ce qu’il ressent quand il n’obtient pas ce qu’il veut tout de suite et que c’est là une limite importante à respecter. Il va probablement s’en foutre royalement de ce qu’on pourra lui dire et faire un bon gros caca-boudin; mais ce n’est pas bien grave, car le plus important est qu’il aura entendu ce que sa figure d’autorité lui aura posé comme cadre. Et bien entendu, à nous adultes de rester ferme sur ce cadre tout en montrant l’exemple sur des situations analogues qui nous concernent; pas toujours évident évident, je vous l’accorde volontiers, mais c’est le plan à suivre si on veut tenir la route et paraître crédible aux yeux de la descendance.
En renouvelant l’opération régulièrement tout au long de son éducation, l’enfant aura alors un peu plus de chances de tolérer les innombrables situations de frustrations qu’il rencontrera dans sa vie d’adulte, dans tous les domaines de sa vie.
Quand l’intolérance à la frustration devient problématique voire pathologique
Bien que nous connaissions tous des moments où la frustration nous pousse à avoir des comportements que l’on regrette après (mon meuble IKEA cité dans l’intro de la première partie de cet article pourrait en témoigner), nous arrivons quand même globalement à éviter des gros pépins dans nos vies à cause d’une frustration mal tolérée.
En revanche, il y a des personnes souffrant de certains troubles de la personnalité qui subissent un véritable dysfonctionnement pathologique avec la frustration. Cette intolérance à la frustration (ainsi que d’autres symptômes) les empêchent d’avoir une vie sociale, personnelle et professionnelle stable. Leur parcours est souvent jalonné de conflits, de ruptures, de décisions « coup de tête », de démêlés judiciaires, voire parfois de grandes difficultés d’insertion et d’adaptation.
Des comportements inadaptés font aussi souvent partie de leur quotidien; addictions en tout genre, violences physiques et/ou verbales, scarifications, tentatives de suicide en sont des exemples parmi d’autres. A noter que ces comportements sont les résultats malheureux d’une souffrance intense en amont, pas toujours conscientisée par les principaux intéressés. Il est important, à mes yeux, de ne pas juger ces personnes sur leurs comportements qui ne sont qu’un moyen (certes inadapté) de soulager la pression ressentie quand la frustration est trop forte. Je vous assure que s’ils pouvaient se préserver de cette souffrance, ils le feraient.
Les principaux troubles de personnalité ayant l’intolérance à la frustration comme symptôme (entre autres) sont les suivants :
- Trouble de la personnalité antisociale
- Trouble de la personnalité borderline
- Trouble de la personnalité hystérique
Attention, les personnes souffrant de ces troubles n’ont pas le « monopole » de l’intolérance à la frustration. On retrouve ce dysfonctionnement chez bien d’autres personnes qui ne souffrent pas forcément de troubles de personnalité, mais qui connaissent quand même des difficultés d’adaptation dans la vie quotidienne (sociale, pro ou perso).
C’est par exemple, ce collaborateur qui fonctionne « à l’affect » et qui supporte mal une décision de son N+1 et va monter rapidement en pression ou encore ce conjoint qui devient rapidement oppressant voire impulsif si sa compagne ne répond pas rapidement à ses attentes, ou encore cet enfant qui pète les plombs en cassant le clavier de son ordinateur parce qu’il a perdu sa partie de jeu vidéo.
Petite précision pour éviter de voir de l’intolérance à la frustration partout autour de vous : si ces comportements sont de l’ordre de l’exceptionnel, il n’y a pas de débat; comme je le disais, ça arrive à tout le monde de péter un câble suite à une frustration, parce qu’on est plus fatigué que d’habitude, parce qu’on a passé une sale journée, parce qu’on a cumulé plusieurs mauvaises nouvelles, etc.
En revanche, si vous constatez chez vous ou chez quelqu’un de votre entourage un seuil de tolérance à la frustration bas ou très bas et ce quel que soit le contexte ou le moment, alors ça vaudrait peut-être le coup de creuser un peu ça en accompagnement. Entre-nous, c’est pas toujours simple si, pour la personne concernée, il n’y a pas de problème ou que le problème c’est l’Autre ou le monde qui l’entoure. En revanche, si vous vous reconnaissez dans ce type de profil et que vous êtes plutôt d’accord avec ça, alors il est temps de reprendre les rennes de votre frustration plutôt que de la laisser vous contrôler.
Les pistes de travail pour mieux tolérer la frustration
Suivant le « niveau » d’intolérance à la frustration, les styles d’accompagnements ne seront pas les mêmes.
Comme vu plus haut, s’il s’agit d’intolérance à la frustration liée à de graves troubles de la personnalité avec des conséquences majeures comme des démêlés judiciaires, une incapacité à s’adapter au monde professionnel ou avoir des relations sociales épouvantables, une prise en charge psychologique voire psychiatrique est nécessaire. Il existe des thérapeutiques médicamenteuses qui aident ces personnes en souffrance à « faire baisser la pression » qu’elles ressentent parfois H24 et 7/7. Cette médication sera bien entendue encore plus efficace si elle est accompagnée par une thérapie comportementale et cognitive.
Pour les autres types d’intolérance à la frustration, où les conséquences dans la vie du sujet sont plutôt mineures et restent limitées à des difficultés d’adaptation dans la vie quotidienne (pro ou perso), alors un travail en psychothérapie ou coaching est possible.
La situation typique que je rencontre en coaching est ce dirigeant qui prend conscience (après moults feed-back de son entourage) qu’il gagnerait en confort professionnel et en efficacité managériale s’il parvenait à mieux réguler ses émotions quand une situation X ou Y vient contrarier ses plans. Et accessoirement avec de gros bénéfices secondaires dans sa vie perso.
Ou encore, cette jeune fille qui, dès qu’elle se trouve dans une relation sentimentale, ne peut s’empêcher de sur-réagir quand son petit ami n’agit comme elle le veut (du genre quand il ne répond pas instantanément à l’un de ses messages).
Voici en général les pistes explorées avec un client ou un patient (liste non-exhaustive) :
- Un travail sur la reconnaissance, l’écoute et la régulation des émotions
- Un travail de restructuration cognitive basé sur les pensées dysfonctionnelles :
- Les observer et les reconnaître
- Les mettre en rapport avec les émotions éprouvées
- Les recadrer en adoptant une posture « décentrée » (vu sous un autre angle)
- Dans le même domaine, un travail sur les biais cognitifs à l’origine de distorsions de la réalité.
- Un travail sur le lâcher-prise autour de la notion de contrôle de l’environnement et de l’entourage. Même chose sur les niveaux d’attentes des événements et situations.
- Accepter que le monde dans lequel nous évoluons est limité par nature est aussi un axe de travail à part entière.
- Certaines approches méditatives peuvent aussi aider à observer et accepter les mouvements émotionnels dans notre corps. Le mindfullness en est un bel exemple.
Bref, il y a matière à améliorer le quotidien de ces personnes qui ne demandent pas mieux que d’avoir une vie stable, des relations équilibrées et surtout vivre avec un peu plus de confort émotionnel au quotidien. Le chemin est parfois long, souvent inconfortable, mais au final, aucun ne regrette de l’avoir parcouru.
Pensez à partager cet article avec vos amis sur les réseaux…
Merci Christophe pour cet article très intéressant qui permet de comprendre les origines de la frustration dans nos vies et comment mieux la tolérer.
J’ai vu une vidéo qui reprend l’expérience du marshmallow mais en changeant complètement les conditions de l’expérience. Celeste Kidd professeur de psychologie à l’Université de Californie à Berkeley s’est demandé qu’elles seraient la réaction des enfants si la gratification différée dépendait de la fiabilité de la récompense ?
Elle s’est basé sur son expérience dans un refuge pour sans-abri, pour ce test, la moitié des enfants a été soumis à un environnement peu fiable comme on peut le voir dans la vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=JsQMdECFnUQ&
Ainsi, dans cette nouvelle expérience avant le test du marshmallow, on propose aux enfants des crayons de couleurs usés qu’ils peuvent utiliser tout de suite ou alors des neufs s’ils arrivent à patienter.
Dans l’environnement fiable, une personne revient comme promis avec des crayons neufs, dans l’environnement peu fiable, au contraire la personne revient sans rien du tout.
Résultat, les enfants qui ont bien eu leurs crayons neufs ont attendu 4 fois plus longtemps que les enfants à qui on a finalement dit qu’ils n’auraient rien.
C’est d’ailleurs compréhensible, dans un environnement où la gratification à long terme est très rare il est logique pour eux de se comporter impulsivement afin de maximiser leur chance de réussite. Les résultats de cette expérience ont donc confirmé l’hypothèse du professeur Celeste Kidd, la décision de retarder ou non la gratification peut changer en fonction de la fiabilité de l’environnement.
Un grand MERCI à toi Houria pour ton commentaire qui apporte une belle plus-value à cet article.
C’est usper que tu aies partagé l’expérience du Marschmallow revisitée avec les nouvelles conclusions. C’est ce que j’évoquais dans l’article. En effet, la fiabilité de l’environnement influence considérablement la décision de difiérer ou pas une décision.
Bonjour
Merci beaucoup pour cet article dans lequel je reconnais parfaitement mon ami. Malheureusement, il est souvent dans le déni de ses troubles et refuse le travail en thérapie, malgré les conséquences énormes sur sa vie.
Vous parliez de traitement médicamenteux qui font redescendre la pression pourriez vous me en dire un peu plus à ce sujet s il vous plaît ?
Bonjour Mama
Le plus sage serait de demander à un médecin psychiatre pour évaluer les troubles et proposer une stratégie thérapeutique adaptée.
La page de la partie 2/2 ne semble pas vouloir se charger… frustrant !
Merci, je comprend mieux certains comportement de mon amie maintenant