Voici la dernière partie des situations probables que peut rencontrer une infirmière face à son patient et comment les jeux relationnels qui s’installent entre eux peuvent conduire à des conflits et être générateurs de stress.
3- L’infirmière se positionne relationnellement en tant que sauveur de son patient et celui-ci reste dans sa posture sociable et engageante bien que difficile compte tenu de son état de santé.
Dans ce cas, le patient peut penser qu’il est tombé sur une infirmière super sympa (ce qu’elle peut être au demeurant) et hyper dévouée (ce qui est aussi le cas). A l’excès (de la part de l’infirmière) il pourrait arriver à la conclusion:
“Mais de quoi elle se mêle celle-là!” :-).
Ici, la dérive qui peut exister ressemble à peu près à la précédente, mais dans une configuration différente. Imaginons que le patient dans sa neutralité relationnelle ne remercie pas ou ne montre pas (ou peu) de signe de reconnaissance vis-à-vis de l’infirmière. Celle-ci pourrait vite aboutir à la conclusion:
“Mais quel c– celui-là, après tout ce que j’ai fait pour lui, il ne me remercie même pas” ou
“Et bien, je me suis mis en quatre pour lui et voilà comment il me remercie…”.
Bref, maintenant que vous êtes des experts en jeux relationnels vous aurez bien compris que l’infirmière décerne le rôle de persécuteur à son patient et elle-même passe du rôle de sauveur à celui de victime.
Et la boucle est bouclée: clash relationnel probable au menu.
4- Le patient et l’infirmière “rajoutent” à leurs conditions de départ, la posture relationnelle de victime pour l’un et de sauveur pour l’autre.
Et là mes ami(e)s, les choses peuvent se gâter sérieusement !
Tant que chacun est satisfait du rôle de l’autre, nous pourrions penser que tout le monde est content. C’est même le cas dans une certaine mesure.
Seulement voilà, le problème avec les jeux relationnels c’est qu’ils sont rarement statiques, et ont même une fâcheuse tendance à s’amplifier de façon exponentielle.
J’aime prendre la métaphore de la Barbapapa. Rappelez-vous comment autour d’un simple bout de bois, nous pouvons faire grossir des brins de sucre à force de les enrouler les uns aux autres.
Ainsi, la victime sera de plus en plus victime et le sauveur voudra de plus en plus sauver. Je vous laisse imaginer l’état de l’infirmière après quelques semaines de ce traitement … Le patient ne s’en sort pas forcément bien non plus car son enlisement dans son rôle de victime ne lui facilitera pas la guérison (c’est le moins que l’on puisse dire).
Les relations entre les deux individus se sont tellement installées, développées et gangrenées au cœur de ce fameux triangle dramatique, que le moindre faux pas de l’un fait voler en éclat l’équilibre illusoire qui s’était installé entre eux.
Il suffit par exemple que l’infirmière refuse à un moment donné (pour cause d’épuisement émotionnel ou physique) une énième plainte ou demande (qui, ne lésinons pas sur les mots, s’est peu à peu transformée en exigence) de son patient pour se voir décerner le prix de la pire infirmière de tout les temps.
Et nous retombons dans la configuration précédente, mais avec une intensité émotionnelle négative décuplée. L’infirmière peut alors entrer soit dans une colère violente et passer instantanément dans la position de persécuteur, soit craquer littéralement et tomber dans la position de victime, avec à la clé une souffrance psychologique pouvant la conduire au syndrome d’épuisement professionnel. Vous conviendrez que tout ceci n’est pas synonyme d’épanouissement professionnel.
Vous avez désormais un petit aperçu de ce qui peut se jouer en terme de relation entre un soignant et un patient dans le cadre du soin.
Les différentes situations décrites ici sont bien sûres un peu caricaturales. Mais le quotidien des infirmières est rempli d’une déclinaison presque infinie de ces situations. Non seulement auprès de leurs patients, mais j’aurais pu copier/coller les mêmes propos avec certaines familles de patients et certains médecins (oulà ! je ne vais me faire que des amis là 😉 )
Bon, et après?
Tout ça, c’est bien beau vous allez me dire, mais comment faire pour ne pas tomber dans le triangle dramatique. Hormis la posture du « non-rôle » qui semble le plus propice à une relation saine et d’égal à égal, je n’ai pas de réponse toute faite, seulement des pistes de réflexions à proposer.
– Quelles sont les situations de votre quotidien professionnel dans lesquelles vous ne vous sentez pas « à l’aise », êtes un peu sous pression mais sans savoir pourquoi ?
– Dans ces mêmes situations, quel rôle avez-vous ? Et votre patient / collègue / collaborateur (ça marche aussi dans d’autres contextes professionnels). Rappelez vous qu’il ne peut y avoir « jeu relationnel » qu’en présence de 2 acteurs.
– Comment réagissez-vous lorsqu’un de vos patient / collègue / collaborateur vous reproche quelque chose ?
– Vous arrive-t-il d’accepter une demande et vous dire après coup : « Mince, j’aurais dû dire non ? »
OK ! Là, ça sent le vécu. 😉
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Je viens de lire les trois articles et je dois dire qu’ils m’ont bien éclairé.
Je connaissais le triangle de Karpman parce que m’intéressant à la communication, j’avais plusieurs livres sur l’analyse transactionnelle.
Et comme je travaille en ce moment en psychiatrie en tant qu’AS, je vois beaucoup plus l’intérêt de l’analyse transactionnelle et des jeux relationnels. Je n’avais pas vu l’intérêt de cette discipline dans le monde de l’entreprise (contrairement à la PNL) alors que là je vois vraiment son intérêt en psychiatrie.
Et la on parle de relation soignant/soigné mais le triangle de Karpman est également valable entre collègues.
Merci Pascal pour ton commentaire.
Oui, le triangle de Karpman est susceptible d’apparaitre dès que 2 personnes entrent en relation, c’est à dire très souvent 🙂
Bonjour,
Je suis arrivé à lire votre blog grâce à l’AT. Je me suis proposé de discuter avec mes collègues sur le triangle dramatique, sur le rôle de sauver que nous jouons en tan qu’ infirmiers et sur le coup de théâtre (selon l’AT : changement de rôle dans le triangle) comme une hypothèse de l’absentéisme des soignants dans les unités. Nous nous disons tous les jours : « Nous ne sommes pas des sauveurs », mais entre le dire et le faire … Pour moi, les soignants passent souvent du rôle de Sauveur à celui de Victime, et c’est à partir de ce moment là que la fuite (l’absentéisme) devient la seule solution possible.
Bonjour German
Merci pour votre intervention qui apporte du vécu à ce billet. Je vous rejoins complètement sur le décalage qui existe entre dire les choses et passer ensuite à l’action pour les réaliser.
Votre hypothèse sur l’absentéisme des soignants est très intéressante mais elle n’est malheureusement pas la seule. Le mal-être de la profession est englué dans un magma d’éléments multifactoriels dont l’assainissement demande un travail minutieux et de longue haleine (très longue haleine).
A bientôt.
Merci pour cet article, je découvre votre blog à cette occasion. Mon mari est medecin aux urgences, je crois qu’il sera ravi de vous lire, c’est enrichissant.
A bientôt !
Merci de votre retour.
Je serais heureux de lire les commentaires de votre mari.
À bientôt.